Mieux vaut être seul…

Ceux qui connaissent Nicolas Pittet savent qu’il aime bien être seul dans sa vigne ou dans sa cave, à faire ses petites affaires sans que personne ne l’ennuie. Etonnant, non, d’un garçon qui sait se montrer si convivial, qui sait recevoir comme personne, que ce soit dans sa cave ou au à l’open air d’Aran. Etonnant, mais pas rare. L’autre jour, j’interrogeais Pierre-Luc Leyvraz, un des quatre Suisses distingués par le sbire de Robert Parker. Lui aussi m’avouait son plaisir à travailler un petit domaine, seul ou presque, son besoin de tailler lui-même ses vignes pour en sentir la forme et savoir comment serait l’année. Ses soirées dans sa cave à écouter ses cuves macérer pendant des semaines. Pourtant, dès qu’il a un auditoire, le garçon parle, parle, parle encore, tout heureux de voir du monde. Solitaire et convivial.

C’était la même chose chez Patrick Riesen, dans son Pointu de Grandvaux qu’il a malheureusement fermé. Seul dans sa cuisine grande ouverte sur la salle. Pas d’ennuis de personnel derrière les fourneaux, il gérait tout. Mais une ouverture sur les autres avec lesquels il adorait discuter.

L’autre jour, arrêt au Mont-Blanc, à Lonay, pour y manger la cuisine de David Grappe, un Jurassien (français) installé là depuis sept ans. Lui aussi m’avouait son plaisir à diriger ce petit restaurant de poche où avait sévi Guillaume Trouillot. Grappe, lui, sans folie des grandeurs, disait avoir cherché un petit local comme cela. «J’ai été formé pour être cuisinier mais pas pour avoir du personnel.» Et c’est vrai que cuisiner, il le fait divinement bien, tout seul, facile, décontracté. En salle, il y a sa femme, à midi, pour servir les menus du jour qui défilent sur les 30 places du resto. Et un seul maître d’hôtel, brillant, charmant, rapide et efficace. Deux et demi, quoi, pour vous faire passer un joli moment de bonheur. Parce que David Grappe est aussi convivial, il aime bien passer en salle à l’apéro, discuter avec ses clients, leur proposer des plats qui ne sont pas à la carte ou écouter leurs envies. Comme si ses clients, dans le fond, étaient juste ses convives. Comme s’il recevait chez lui, avec plaisir. Comme si, débarrassé de la lourdeur d’une équipe, on en revenait à l’essentiel, au contact simple entre deux personnes qui donne de si bons moments.

A la Maison d’Igor, à Morges (photo), c’est la même chose. Deux femmes qui décident de créer une maison d’hôtes dans la demeure d’Igor Stravinski avec autant de passion que de goût pour la décoration. Et comme elles ont quelques tables, elles cherchent quelqu’un qui puisse y faire restaurant. Elles rencontrent les Abegg, ceux qui avaient l’Esquisse, à l’Ermitage de Lausanne. Ils délèguent un chef, créent une petite carte, et on retrouve cette joie simple d’une cuisine sans chichi servie par un unique maître d’hôtel, comme chez des amis. Une carte courte et moderne. Des prix sympas. Et le goût de la réception.

Le fait de travailler en petit comité permet aussi celui de rencontrer plein de monde à qui on aime faire plaisir.

David Moginier