Le Bout de Savuit

Vous êtes promeneur du Jorat ou du Jura et, subrepticement, vous découvrez le vignoble de Lavaux en débouchant de la crête de Belmont. Votre regard plongeant sur Savuit, vos papilles s’«agacent». Le pas se fait plus rapide, on voit le bout ! Déjà, on traverse le village, on passe devant chez André et Rosa, on frappe à la porte…
– Zut, y sont pas là. Tonnerre ! Y doivent être au Comptoir, flûte et re-flûte. Bon, on veut aller guigner chez l’Yves-Alain, lui, y va pas au Comptoir !
On frappe… pas là… Zut et re-zut !
– Papy, on n’y voit plus le bout ! Ce village est sans fin… On va s’y perdre ! Pas une pinte, pas de vignerons, tous occupés. 
– T’agite pas ! On tire à gauche et on sera au bout ! 
– Au bout de quoi ? Chuis en eau, j’peux plus, chuis au bout…
– Eh oui, on est au Bout de Savuit !
– Ah enfin ! Frappons chez ceux du bout !  Tu crois que c’est un Duboux ?
– Non, c’est un Pittet ! Ce n’est pas un Duboux, mais un du bout de Savuit, et je suis sûr qu’il est là : sa «Joséphine» est là, c’est son tripoteur. Je frappe.
– Et bien frappe !
– J’entre.
– Eh bien entre !
– Adieu Pittet, t’es là !?!  T’as déménagé ? Qu’est-ce qu’tu fais ?
– Adieu Pillichody, comment vas-tu ? Ça fait un bout de temps !
– Ben tu vois, j’me balade avec Maman. Elle est au bout, et moi j’suis aussi au bout, mais du carton de Bout de Savuit. Donc tous ces bouts mis bout à bout nous ont fait prendre le train et venir te trouver au bout du village. Au bout du compte, on a rudement bien fait, puisque t’es là !
– Eh bien, asseyez-vous mes amis. On va se déguster un «Bout de Savuit». Je débouche…
– Eh bien débouche…
Le bouchon sonne et lentement Pittet verse le déci dans le verre. Superbe couleur jaune soleil, le verre tourne… Santé ! Un nez de tilleul, un parfum de terroir d’ici.
– Je l’ai sélectionné dans des vignes de terres lourdes, puis vinifié dans le vase en bois du bout d’la cave. On a remonté les lies une fois par semaine : ça lui donne un peu plus de «grrras» et de parfum. Cette façon de faire lui donne une personnalité bien à lui…
– T’as raison, Pittet ! Ce chasselas est un miracle ! J’vais t’en reprendre une dizaine de cartons et puisque t’as plus la Muni – on en recausera – je passerai les chercher lundi avec l’auto. Je me régale déjà ! Mais pour aujourd’hui, j’crois qu’il nous faut nous réduire ! On tient bientôt plus debout !  Au bout de la troisième de «Bout de Savuit», il me semble qu’on est au bout du compte. Alors j’y vais… Maman s’impatiente…
– Adieu Duboux…Euh, Pillichody, s’cuse-moi !
– Salut Pittet ! En fait, moi, c’est Duboux… de Savuit !