LUXE, CALME ET BONNE HUMEUR

Excusez-moi si je vous donne l’impression que je me la pète… Mais mon métier me donne accès à quelques moments privilégiés et passionnants. Et je reste comme un gamin à m’en émerveiller.

Voici donc que, l’autre jour, je tente d’obtenir une interview de l’excellent Benoît Violier, le nouveau chef de Crissier. Le garçon surfe sur le succès, déroule les événements, et croule forcément sous les demandes d’interview. En toute amitié, il me propose de le rejoindre un mardi « au passe », d’où il envoie ses merveilles en salle. « Et on se mangera une petite assiette en même temps, cela fait longtemps que tu n’as pas goûté mes nouveaux plats. » Evidemment, comme le chef sort cinq nouvelles cartes chaque année, il faudrait y aller cinq fois au minimum, soit un certain trou dans le budget annuel…

Me voilà donc installé tout seul à la table d’angle de la cuisine pendant que le chef surveille ses plats. « Je te fais une plume et un poil, d’accord ? » Oui, c’est la période de chasse. Alors, bon, d’accord ! (Vous auriez refusé, vous ?) «Et qu’est-ce que tu veux comme plume ? J’en ai six, lagopède, grouse, perdrix…» Pas facile de choisir. Bon, une bécasse ! « Très bon choix, me dit-il, c’est le seul oiseau dont on mange la cervelle. » Ah ! « Et pour le poil ? J’en ai huit, lagopède, chevreuil, mouflon… » Je prends le chamois. « Très bon choix, celui-là, c’est moi qui l’ai tiré, regarde les photos. » Oui, chouchouté comme un coq en pâte, je suis.

Je ne sais pas si vous avez déjà mangé tout seul dans un trois-étoiles, en plus à la table de la cuisine ? C’est étrange, tant des merveilles comme celles qu’on m’a servies méritent d’être partagées. Mais c’est génial aussi parce que, entre deux assiettes, vous avez le temps d’observer le travail des orfèvres. Il y a la technique, bien sûr, irréprochable, précise, multiple. Ces cuissons de génie, adaptées à chaque viande ou à chaque poisson. Il y a ces produits d’exception qui passent devant vous. Il y a cette minutie. Mais, et c’est là aussi la patte de Violier, il y a cette bonne humeur qui règne en cuisine. Chefs, sous-chefs, chefs de partie ou commis bossent beaucoup et dur, mais ils s’y plaisent, se taquinent, sourient. D’ailleurs, l’équipe est d’une stabilité à toute épreuve depuis deux ans et demi. Tout cela confirme l’impression qu’on peut avoir en salle, où le service, hyperpro, semble heureux de faire son boulot et n’hésite pas à sourire au client ou à échanger un bon mot.

Comme quoi on peut être au sommet du luxe, travailler dans la perfection, accueillir des stars, et tout cela sans avoir besoin de chichiter ou d’avoir le masque… Belle leçon, M. Violier !

Dave