Un si beau vin de soif !
Il y a certaines contrées étranges, qui s’obstinent à inventer des mots locaux pour dire ce qu’on pourrait dire tellement mieux autrement. C’est ainsi qu’en Allemagne, ils disent Gutedel. En Valais, Fendant. A Genève, Perlan. Il paraît même qu’il y en a qui parlent du Lausannois en disant Chasselas… Non, sans rire, j’étais d’astreinte l’autre vendredi comme juré au Mondial du chasselas, deuxième édition. 638 vins avaient été envoyés aux organisateurs, dont… 593 suisses (et 35 allemands, 8 français, 1 californien et 1 canadien). Il y a encore un bout de chemin pour que le Mondial soit mondial, non ?
Assis à ma table de juré – entre Yvonne, sommelière à Karlsruhe, Benjamin, caviste chez Mosca, Antoine, fonctionnaire au Contrôle des alcools, et Jacky, chroniqueur vineux français – j’ai été émerveillé par l’extraordinaire diversité de ce cépage. Tout le monde le répète comme un credo religieux : le chasselas exprime au mieux son terroir. A déguster ces vins, je me disais qu’en plus il pardonne peu en vinification. Sa subtilité, sa délicatesse, sa presque timidité font ressortir les défauts à la vigne ou à la cave. Alors que nous entrons en silence les notes des divers critères sur notre tablette électronique, voici cette verdeur qui annonce que le vigneron a vendangé trop tôt. Et là, cet excès de sucrosité qui rend le vin trop lourd. Et ici…
Non, il n’existe pas un seul chasselas, pas une norme unique. Mais ce vin doit rester cet équilibre ultime entre une belle fraîcheur qui donne envie d’en reboire dès qu’on en a bu, une minéralité un peu brute signe d’un vin de caractère, ce léger gras qui enrobe la bouche sans encombrer les papilles. Pas forcément facile de ranger tout ça dans les critères de la petite machine. Deux notes pour la vue (que donner à un non-filtré dans la rubrique «limpidité»?). Trois notes pour l’odorat. Quatre pour le goût. Et une pour l’harmonie du tout. Au maximum 100 points pour un vin qui serait la perfection ultime. Franchement, notre petite tablée est restée assez compacte dans ses jugements des quelques dizaines d’échantillons qui nous ont été servis. En gros, une immense majorité de notes entre 80 et 90. Quand on sait que la médaille d’argent est à 85 et la médaille d’or à 89, on voit qu’on est dans une fourchette extrêmement fine où le moindre écart peut signifier récompense ou non. Pour ma part, j’ai trouvé deux vins franchement décevants, un vingtaine d’honnêtes mais qui ne méritaient pas de médailles, j’ai dû donner l’argent à sept ou huit, et l’or à deux. Trop sévère ? Peut-être.
Et que manger avec tout cela ? Une bonne spécialité suisse au Chalet du Mont-Pèlerin qui a désormais tous les crus de Chardonne à sa carte ? Ou des superbes crevettes à l’ail du Restaurant du Mont-d’Or, à Lausanne, repris par Serge Coletta, qui y propose une cuisine italienne comme la faisait sa maman, simple, goûteuse, axée sur les produits ? A moins qu’un détour par la cuisine indienne du Laxmi, à Lausanne, repris par Umar Adnan, et qui y propose des plats comme là-bas, entre Punjab et Pakistan, la meilleure table du genre dans le coin? On avait aussi bien aimé associer le chasselas à un tartare de féra juste citronné comme il faut, concocté par Edgard Bovier, au Lausanne Palace. A vous de voir : les goûts sont aussi multiples que le chasselas a de diversité. Dave