Le « Vigneron-Compositeur »

Une forte bise envahit depuis plusieurs jours les vignes, les températures sont «bréviniennes». Avec la main gauche de Martin dans ma main droite, on marche sur un chemin vicinal, en Dézaley. Le soleil est là, au zénith, les montagnes sont sublimement blanches, et …
– Papa, regarde ! Le lac fume !
– Eh oui, il fume de froid, il ne peut pas se couvrir… ni se mettre au chaud… mais au moins, il fume dehors…
Lors de cette petite escapade filiale, nous nous sommes arrêtés en contemplant ces parchets de vignes plongeant dans le vide, puis dans le lac, puis…; et je me suis dit…
«En fait, nous autres vignerons du patrimoine… (j’ose ?) mondial, nous sommes des compositeurs !»
Aaah, je sais ! J’ai déjà exprimé à plusieurs reprises la rengaine du vigneron sculpteur de charmus, façonneur des terrasses de Lavaux, etc… Mais là, il me vient à l’esprit, comme une note de musique. Lorsque je regarde avec attention ce paysage, je ne peux m’empêcher d’imaginer ces charmus comme des portées de musique. Dans une vigne composée de «forêts» de piquets et de fil, chaque souche est une note.
Chaque parchet étant architecturalement construit différemment, chaque mur qui le compose donne le sentiment d’une partition musicale. Tous ces parchets mis ensemble forment alors une mélodie visuelle. On peut imaginer la suite. Cette mélodie devient symphonie. Symphonie de terroir, symphonie de caractère, symphonie de rêves.
La «clef du sol» donnant le ton, là, devant tant de partitions différentes, le chef d’orchestre vigneron joue de la baguette pour lancer la première note du futur jus divin… D’ailleurs, devant le tonneau du vin nouveau, le vigneron dira : «ce Dézaley a des notes de tilleul…» Je le revendique ! Nous sommes des «Vignerons-Compositeurs». Par la suite, l’œnologue deviendra compositeur du vin, le tonnelier compositeur des tonneaux, le graphiste et l’imprimeur seront compositeurs d’étiquettes. Plus fou encore, dans un véritable tourbillon de pensées, on peut même imaginer que nous sommes, nous autres vignerons, des «vignerons-compositeurs-interprètes». Les musiciens d’un bonheur. Un opéra Jazzistiquement fabuleux. Tonnerre. On est bien les deux, Martin ! Dans cet univers de mélodie du bonheur… ! »