Un tableau nommé Effeuille

Il est assis là, sous la tonnelle, dans un fauteuil en osier, juste la tête à l’ombre, un peu voûté, comme fatigué. Devant lui, une table métallique d’un vert un peu passé. C’était celle de son grand père. Il y tient. Sur la table, un pot de terre cuite et à ses côtés un verre vert en verre. Il se désaltère. Les montants de son abri servent de cadre au paysage qui s’offre à lui et qui dessine  comme un tableau. Il imagine prendre son pinceau, son chevalet, une toile et peindre ce qu’il y a là, devant lui. Les montagnes sont blanches, vertes, grises, parfois bleues, elles se reflètent dans le lac. Il y a multiplications de sommets. Le lac frissonne et brille, comme les poussières microscopiques des fleurs qui s’envolent et forment dans l’air des étoiles filantes  printanières. Les « pétroliers » du sable scindent le scintillement de l’eau et une écume blanche les suit, puis disparaît. Un voilier croise un vapeur, un vapeur croise un voilier, le lac, la mer, étendues d’eau tolérante, ouvertes à tous sont là, scène d’un ballet harmonieux.  Le regard de notre homme s’arrête un instant là, juste à droite du cerisier. Il est en fleur et  le blanc immaculé de cet arbre lui fait croire que l’hiver est revenu. Oh que nenni… ! Sous le cerisier, Marie est là pensive, le regard fixé en direction de l’orient. Elle rêve… ! À ses côtés, sur le mur chauffé par le soleil, le chat t’chatte… et miaule, perturbé par les mauvaises ondes. Un peu plus haut, quelques légumes sortent de terre,   miracle de la main verte de Sylvie. Les premières fleurs sont ouvertes, ce sont les soleils de la terre. Elle est là aussi, Joséphine, fine silhouette couchée dans le hamac, les yeux rivés d’admiration sur « Aline », et la prose de Charles Ferdinand. Dans sa cabane, Martin martèle  sa future caisse à savon. Puis, tendant un peu plus l’oreille, il savoure les corneilles croassant des vers de Corneille en se délectant de vers… de terre. Maître goupil n’est pas loin, le malin  se prépare à son festin. Soudain, notre rêveur est réveillé par le bourdonnement strident d’un atomiseur. L’ami de  son ami Louis, donc son ami, danse le twist again entre les ceps de sa vigne, traitant avec souplesse le champignon ennemi. La pause de celui qui se reposait quelques instants se termine là. D’un bond, notre vigneron réveillé, ravitaillé et revigoré, se précipite devant dame souche, s’agenouille devant elle et l’effeuille…

NP