NOTRE PATRIMOINE EST MONDIAL !

Le pressoir de Montagny est le centre du monde. Vous ne le saviez pas ? Cela paraît prétentieux, dit comme cela, je vous l’accorde….. Alors, je vais le dire autrement…. Le monde entier se trouve à Montagny ! Lorsque vous entrez au pressoir, vous êtes probablement frappés par l’incroyable diversité d’images et d’objets qui s’y trouvent. Ils ont trouvé leur place ici, au fil des ans, d’échanges, de moments gais ou moins gais. Ils sont surtout la vie, notre vie. Lorsque le regard s’est habitué au foisonnement qui l’entoure, il trie, il interroge, il cherche à comprendre, enfin, il classe…Il fait des paires, des ensembles, des familles. Et il est forcément attiré par les couleurs. Les couleurs, au pressoir, sont celles des drapeaux qui y sont pendus, tendus, accrochés. Et là, le visiteur imagine que les vignerons ont beaucoup voyagé et qu’ils ont rapporté ces étendards des nombreux pays qu’ils ont traversés.

Et bien, pas du tout. Ces drapeaux sont le fruit de rencontres. Rencontres multiples, passionnantes, et toutes uniques, qui ont leur anecdote. Il y a quinze ans, nous avions accueilli un vendangeur argentin dont la sœur avait épousé un vaudois. Carlos était un hercule, fin et racé avec lequel nous parlions avec les mains et trois mots d’anglais. Nous lui avions dit que s’il revenait en Suisse, ce serait chouette qu’il nous apporte un drapeau de son pays. Cinq ans plus tard, on sonnait à la porte. Carlos était en voyage de noce…. Et il avait tenu sa promesse. C’est ainsi que cela a commencé. Depuis, les promeneurs norvégiens qui pensaient juste regarder le moût couler un soir de vendange … et qui avaient passé des heures à nous raconter les fjords, ont apporté leur symbole à croix bleue. Les mariés qui souhaitaient absolument la vue de la terrasse pour cadre de leur photo- souvenir et dont les parents de l’épouse avait fait le voyage depuis Tokyo, en tenue traditionnelle….ont envoyé leur pavillon au point rouge. Ces histoires-là, c’est l’amour, le voyage, le folklore.

Un jour, un homme passait devant Montagny. Il cherchait la maison de sa grand-mère, dans laquelle il n’était jamais revenu depuis son enfance. Le voyageur venait de Palestine. Il y était représentant de la Suisse, puisque le terme d’Ambassadeur n’a pas cours là-bas. La discussion s’engagea. Il s’assit au pressoir et raconte pendant des heures à Nicolas la vie, la politique, la guerre. Un an après, il réapparaissait à Savuit un jour de brisolée avec sous son bras deux drapeaux. L’un, noirci, déchiré, arraché à un restaurateur de Ramallah, troqué à la condition qu’il serait accompagné d’un drapeau de la Palestine en bon état. Le second était vert, blanc et rouge,…et neuf. Nous en aurions pleuré.

Il y a aussi les drapeaux rouges. Ceux-là nous ont été rapportés par nos nombreux vendangeurs de l’ex- bloc de l’Est. Polonais, Russes, Tchèques, Slovaques, ils sont venus travailler une semaine à Montagny, y ont laissé les récits de la vie chez eux. La vie avant, la vie maintenant…. Mais toujours, une semaine ici vaut trois mois là-bas. Et comme désormais, ils osent vider caves et greniers des attributs du communisme , ils nous les apportent. Ces histoires-là, c’est la politique, l’Histoire en marche.

Et puis, il y a les petits. Les ressortissants de communautés qui cherchent à préserver leur identité. La Corse, le Québec, la Bretagne plus récemment. Et soudain Martin se sent vraiment Breizh… Ces histoires-là, c’est les civilisations, la culture.

Je vous livre ma préférée, celle à laquelle nous ne nous attendions pas. Un jour, glissée sous la porte de la cave de Savuit, nous avons trouvé une enveloppe qui contenait le drapeau israélien accompagné du mot suivant : « Cher Monsieur, nous avions choisi chez vous le vin pour notre mariage. Lors de cette dégustation, mon frère et sa femme, habitant en Israël, étaient présents. Ils vous avaient promis un drapeau. Presque un après, j’ai le plaisir de vous transmettre ce drapeau assez particulier puisqu’il déchaîne les passions plus qu’un autre. Au plaisir, Hancel. » Nous l’avons suspendu aux côtés du drapeau palestinien….Celle-ci, c’est une histoire de paix.

Et même si ne nous voyagerons probablement pas beaucoup durant le reste de notre vie, nous sommes les citoyens d’un monde dont la carte est tracée sur les parois du pressoir, à Montagny, faisant des murs de ce lieu particulier, une mappemonde humaine unique. Le centre de notre monde de vignerons.

Sylvie Pittet