Le Chasselas, le Roi des blancs
Unique, insolite, inégalable et prodigieux, le cépage chasselas est tout cela à la fois. Fer de lance des vins helvétiques, il incarne au mieux «le vin de terroir». Cultivé sur les rives du Léman vraisemblablement depuis l’époque romaine, le Chasselas fendant roux (dénomination ampélographique) garde encore une origine incertaine. Mentionné depuis l’Antiquité en Egypte à la fois comme raisin de table et de cuve (les vignobles y touchent d’ailleurs le temple de Medinet consacré aux divinités du vin), on le retrouve aussi dans la vallée de la Loire avec l’unique AOC française autorisant le Chasselas à 100 % : le Pouilly-sur-Loire.
Il entre aussi dans l’assemblage du vin alsacien «Edelzwicker» ou dans les AOC savoyardes de Crépi ou de Marin usuellement vinifiées sans malo. Il est par ailleurs également présent en Allemagne dans le vignoble sud du Baden- Wurtenberg. Pour les chercheurs, le plus intriguant demeure ce village du Beaujolais dénommé «Chasselas» et autour duquel ne pousse aujourd’hui que du Gamay.
En Suisse, la présence du cépage blanc semble attestée depuis des temps immémoriaux. On le trouve encore planté en Suisse alémanique, en Autriche, en Allemagne et jusqu’en Slovaquie, sous des noms aussi identifiables que «Vievisser» (de Vevey) ou «Lausanner»; «Gutedel»; «Welcher»; «Gros fendant» ou «Weisser». En Romandie, il est tantôt appelé Perlan à Genève ou Dorin chez les vaudois.
On distingue par ailleurs plusieurs sélections et clones : le Fendant roux ou Chasselas doré de Lavaux , la Blanchette, le Chasselas vert de Vinzel ou de la Côte, le Plant droit, le Chasselas de Fontainebleau, et comme raisin de table le Chasselas de Moissac.
Il est intéressant de rappeler l’origine du mot Fendant : à la fin du XIXe siècle, le phylloxéra ravage les vignobles romands. Les vignerons doivent surmonter une crise économique sans précédent. Après plusieurs années de disette, les viticulteurs valaisans décident d’abandonner les vieux cépages blancs autochtones au profit du Chasselas plus rémunérateur qu’ils vont alors chercher chez les pépiniéristes vaudois. Très bien informés, les viticulteurs valaisans ne demandent que le cépage Chasselas «fendant» (ainsi nommé car lorsque l’on presse sur sa baie, le grain se fend entre les doigts et laisse ensuite sortir un jus plus sucré) mais ils ne veulent pas le chasselas dit «giclet» (ainsi nommé car lorsque l’on presse sur la baie, jaillit un petit jet fade avant de libérer la gousse verte). Ce dernier donne un vin de moins bonne qualité et les vignerons valaisans choisissent donc de rapporter au Vieux-Pays des plants de Chasselas fendant. Dénomination qu’ils donneront ainsi au vin issu de ce cépage. Alors que chez les Vaudois, pour lesquels ce cépage est déjà largement majoritaire, on dira simplement «le blanc» puis rapidement le terroir ou le village dont le vin est issu. On boira donc avant la guerre de 1914 du Dorin de Concise, du Féchy, du Blanc de Lutry, du Dézaley ou du Villette mais pas ou très rarement du Fendant.
De nos jours, le Chasselas reste l’emblème des vins vaudois. La notion de terroir et la minéralité qui en découle sont des éléments essentiels lors de la dégustation. La grande diversité pédologique du Pays de Vaud offre une large palette de vins blancs différents issus de ce même cépage. Selon l’élevage, sur lies ou en cuves, il donne des vins riches et très subtils aux notes de fleur de tilleul. Les amateurs les plus éclairés laisseront mûrir les meilleurs millésimes comme 1986, 1990, 1996, 2000 ou 2006, afin d’obtenir des vins séveux aux notes confites de miel et d’amandes qui accompagneront au mieux les vieux gruyères ou le vacherin.
Mes plus vifs encouragements pour vous faire découvrir le sublime millésime 2007 qui se présente ces jours. Car comme le disait il y a peu ce vigneron de Lutry : «cette année, j’apprécie le Chasselas car je Lavaux bien».
Philippe Bujard