« L’œnologie, c’est de la foutaise, je n’y crois plus »

… dit un ancien professeur d’œnologie de Montpellier à l’un de ses anciens élèves.

« Comment ça ? » dit l’ancien élève.

« J’aime le vin. » dit-il « Les terroirs et ses vignerons. Ils n’ont pas besoin de l’œnologie pour exister. Aujourd’hui, elle ne sert plus l’idée que je me fais du vin. Elle sert l’industrialisation de vins, elle permet de faire un vin buvable avec une matière première dégueulasse. On peut aujourd’hui, grâce à la technologie, planter de la vigne n’importe où sur la planète et grâce à des recettes et des procédés de fabrication, élaborer un breuvage hydro-alcoolique que l’on continue à appeler « vin ». Un mot pour deux produits qui n’ont plus rien à voir. »

 C’est depuis quelque temps déjà le discours que l’on peut surprendre de plus en plus de la part de producteurs et de personnes du métier. Un engagement clair et convaincu de créer une différence fondamentale entre le vin, le vrai, fait avec conviction et engagement, avec le respect de la vigne, de la plante et de celui qui le boit, et des breuvages fabriqués, assemblés, boostés aux produits œnologiques, aux enzymes aux copeaux (si, si, les vino-copo, c’est « pour de faux »), thermorégulés à outrance et microbullés à l’oxygène, surfiltrés, concentrés, corrigés et standardisés.

 Depuis longtemps déjà, nous travaillons dans ce sens – le premier ! – pour les vins de Nicolas. Des vins qui sont très proches du raisin, des vins que l’on laisse se faire par eux-mêmes. Cela commence dès le travail de la vigne. Si les traitements chimiques sont encore utilisés contre le mildiou et l’oïdium, les herbicides auront bientôt disparu. Les vignes ont déjà retrouvé une flore et une faune importantes. Puis c’est au tour des vendanges, le raisin est amené à la cave par caissettes d’une quinzaine de kilos. Il reste entier sans s’abîmer. Le pressurage se fait dans des conditions parfaites. Nous retrouvons des moûts très proches des anciens pressoirs à palanche grâce à un pressoir pneumatique avec lequel nous pouvons, pour toutes les spécialités blanches, presser en raisins ronds. Le pressurage est long, plus de quatre heures, mais au final, nous avons des moûts sans bourbe que nous n’avons besoin de traiter, sauf un peu de soufre avec un dosage minimum, juste le temps de les transporter dans la cave de fermentation à Savuit. Ils sont ensuite levurés et la fermentation alcoolique se déroule dans les nouvelles barriques de chêne suisse, choisies avec notre tonnelier préféré. Sans climatisation, la fermentation se déroule d’elle-même. Avec parfois des pointes de températures à 25°C. Puis nous maintenons la cave à une température de 18°C pour le déroulement de la seconde fermentation avec des bâtonnages réguliers. Le chêne laisse passer l’oxygène de manière naturelle pour que le vin évolue lentement. Dès que cette fermentation est finie, nous ouvrons les portes de la cave. Le froid de l’hiver stabilise alors les vins doucement jusqu’à 3 ou 4°C. Puis, au printemps, peu avant leurs mise en bouteilles, ils sont souvent transvasés pour la première fois et, pour quelques-uns, filtrés grossièrement, juste de quoi les rendre limpides et exempts de lie. Mais surtout, ils sont vivants, ils ont leurs bons comme de moins bons jours. Des fois fatigués et d’autres chaleureux et expressifs. On retrouve les parfums des vendanges, le raisin qu’on a goûté, le moment est grand !

 Mais comment vous transmettre cela ? Si ce n’est en le partageant avec vous, en essayant de vous faire déguster ces vins au bon moment.

De la même façon, nous avons rencontré les vignerons que nous représentons. Nous avons été séduits par leur démarche, leur recherche d’une idée du vin, la leur surtout. Souvent, ils sont hors des sentiers battus,  des schémas types et des cours d’œnologie. Ils recherchent l’identité de leur vins et de ce qu’ils ont envie de partager. Souvent, cela fait frémir des collègues habitués à la sécurité d’un produit à commercialiser. On nous prend pour des fous, des illuminés. Mais je suis sûr que cela vous enchante de découvrir de tels vins. 

 Je n’aimerais surtout pas prôner un discours réactionnaire et faire « à l’ancienne » avec des « c’était mieux avant », mais bien plutôt revenir à des valeurs simples et vraies. Comme passer un moment entre amis, déguster un vin sans se prendre la tête. Juste un vrai vin, de la vraie économie… et de la vraie vie.

 Le 25 septembre dernier, Daniel Mermet, dans son émission « Là-bas si j’y suis » sur France- Inter, a développé cette idée de valeur et de partage en finissant sur cette phrase : « Boire du vin, c’est boire du pays ». Ecoutez-là sur son site internet : www.la-bas.org

Vous y entendrez aussi la chanson de Gilbert Lafaille, chansonnier proche de l’esprit de Léo Férré. Et quand on sait où ce dernier à fini sereinement sa vie, c’est avec un grand respect que nous boirons ensemble un Chianti Classico plutôt avec que san(s) donatino…

                                                                      Pierre-Alain Dutoit

 

Moi j’aime pas les vins chers
ceux qui s’vendent aux enchères
et partent en Amérique
ceux qui font des manières
entre la sole meunière
et les fruits exotiques

Moi j’aime les vins canaille
ceux qu’ont jamais d’médaille
aux concours agricoles
qui sont nés sur la paille
qu’ont les ch’veux en bataille
ceux qu’ont pas fait l’école

Celui qu’on boit comme ça
sans faire de tralala
c’ui qu’a pas d’étiquette
qu’ s’prend pas au sérieux
qu’en met pas plein les yeux
qu’est tout nu sans liquette

Moi j’aime c’ui qu’est bien rond
qui joue pas les barons
mais qui donne son soleil
pas les grands millésimes
les vieux crus rarissimes
qui vous chauffent les oreilles

Ah c’qui sont pas vulgaires
ceux qu’ont passé la guerre
à l’abri dans les caves
ceux qu’on peut pas toucher
qui doivent rester couchés
qui nous prennent pour des caves

Moi c’est l’rouge pas farouche
qui roule bien dans la bouche
ni trop mou, ni trop vert
c’ui des bois et charbons
qu’a pas le nez bourbon
mais fait chanter les verres.

                                                  Gilbert Lafaille