LE VIGNERON ET LA MOUCHE
Va-t-en, chétif Insecte, que fais-tu donc sur mes terres ?
C’est en ces mots que le Vigneron
Parlait un jour à la Mouche.
Celle-ci sur-le-champ lui déclara la guerre…
Penses-tu, lui dit-elle, que ton titre de Vigneron-Roi
Me fasse peur ou m’apporte quelque souci ?
Le chinois est plus puissant que toi,
Il te mène à sa fantaisie.
À peine achevait-elle ces mots
Qu’elle sonna la charge,
Fut le Trompette et le Héraut.
Dans l’abord elle se met au large,
Prend son temps puis fond sur les grappes
Du Vigneron, qu’elle rend presque fou.
Le Bipède écume, et son œil étincelle…
Il rugit, on se cache, on tremble à l’environ…
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un Moucheron.
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcèle,
Tantôt pique chasselas et tantôt lacère pinot,
Tantôt s’immisce au fond du tonneau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L’invisible ennemi triomphe et rit de voir
Qu’il n’est aucun traitement que le Vigneron ait trouvé
Ni aucun produit qui ne fasse son devoir.
Le malheureux Vigneron se déchire lui-même,
Fait résonner son atomiseur à l’entour de ses plants,
Bat l’air qui n’en peut mais et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat ! Le voilà sur les flancs.
L’Insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer et rencontre en chemin
L’embuscade d’un automne ensoleillé,
Qui lui fait aussi rencontrer sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis,
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
Nicolas Pittet (d’après Jean De La Fontaine)